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Du phénol pour les chéloïdes : une expérience, des résultats et un brevet

C’était il y a quelques mois quand une dermatologue tunisienne, Dr Frikha Mseddi Madiha, professeure agrégée au C.H.U Hédi Chaker à Sfax a découvert un traitement efficace pour les cicatrices chéloïdes, il s’agit du phénol. La nouvelle a fait la une des médias, mais pourquoi autant d’engouement pour cette nouveauté ?
« Tout simplement, précise Dr Mseddi, parce que les cicatrices dites chéloïdes ou chéloïdiennes sont hautement disgracieuses, inesthétiques, constituent un réel problème en dermatologie à l’échelle mondiale du fait de l’inefficacité des thérapeutiques usuelles (laser, radiothérapie, infiltration de corticoïdes) et surtout sont une source d’un mal être, tant sur le plan physique que psychologique, et de frustration pour les patients qui en souffrent, particulièrement lorsque les lésions sont apparentes ou épaisses ».
Pourquoi le phénol ?
« En dermatologie, on utilise habituellement le phénol à 80% dans la phénolisation de la matrice de l’ongle incarné pour la détruire. En cosmétologie, le phénol est aussi le produit phare des peelings, notamment les peelings profonds indiqués pour les hyperpigmentations de la face mais ces derniers ne sont pas réalisés en Tunisie, étant un pays très ensoleillé.
En 2008 et inspirés d’un congrès de dermatologie esthétique et correctrice à Paris pendant lequel les atouts du phénol avaient été évoqués en long et en large, particulièrement son mode d’action puisque ce produit agit par la dermabrasion en détruisant les couches superficielles de la face lors du peeling, on s’est dit que le résultat devrait être similaire pour les chéloïdes alors pourquoi ne pas l’essayer sur ce type de cicatrices ? ».
L’expérience…
« On a donc entamé une étude qui a regroupé 25 patients ayant reçu un traitement de phénolisation de leurs chéloïdes entre juin 2010 et mars 2012. Ce travail a concerné les patients âgés de plus de 16 ans qui avaient des chéloïdes depuis plus d’une année, dont la surface est inférieure ou égale à 900cm2 et sans tenir compte de son épaisseur. Ces cicatrices étaient situées dans des zones couvertes, avec ou sans un ou plusieurs traitements antérieurs.
N’étaient pas impliqués dans cet échantillon les patients âgés de moins de 16 ans, les femmes enceintes, les diabétiques, les insuffisants hépatiques, les insuffisants rénaux, ceux ayant des antécédents cardiaques et ceux ayant une peau mince ou atrophique fragilisée par l’application de dermocorticoïdes au long cours.
Selon un protocole prédéfini, on a utilisé du phénol à 40%, dilué avec de l’eau distillée. Les séances étaient hebdomadaires et réalisées au bloc opératoire de notre service. La technique est simple : après nettoyage avec de la polyvidone iodée (antiseptique) et un rinçage au sérum physiologique, le phénol est appliqué avec un coton tige bien égoutté tout en respectant la peau saine et il agit en exfoliant doucement couche par couche la cicatrice chéloide. On a choisi 3 mn pour la durée des deux premières séances et 5mn pour les séances suivantes. On a opté de ne pas panser les lésions pour éviter l’effet occlusif des pansements.
Généralement, l’amélioration est remarquable dès la 4ème séance mais tout dépend de l’épaisseur de la lésion qui influence le nombre des séances contrairement à la dose appliquée, cette dernière étant la même pour tous les patients. Le nombre de séances de phénolisation était en moyenne de 14,2 au bout desquels on a noté une régression de plus de 90% de la cicatrice dans 59% des cas. Dans 75%, une dyschromie (hyperpigmentation) locale s’est développée et dans 28% des cas, soit chez six patients, des effets indésirables à type d’ulcération, de prurit et d’infection avaient été mis en évidence. Il faut dire que la cicatrice s’aplatit sans disparaître et après une année de recul, aucune récidive ni une reprise de l’évolution de la cicatrice n’étaient constatées.
Cette technique est utilisée dans notre service depuis 2008 et a fait le sujet d’une thèse de la faculté de médecine de Sfax intitulée « Évaluation de la phénolisation des chélidoines ».Ce travail a, par la suite, été présenté dans les JDP (Journées Dermatologiques de Paris) de 2014 et de 2015 ainsi que le congrès de dermatologie esthétique et correctrice, a été publié dans les annales de dermatologie et de vénéréologie (2014) 141, 493-499 sous l’intitulé « La phénolisation : un nouveau traitement des chéloïdes » et, en 2015, un brevet nominatif concernant cette innovation thérapeutique a été déposé au Ministère de l’Enseignement Supérieur en Tunisie ».
Des résultats encourageants
« Toute l’équipe de dermatologie de notre service est très fière des résultats spectaculaires obtenus car en plus de l’efficacité du traitement médical proprement dit, nous aidons les patients à refaire surface et à renaître tant ils se sentaient désavantagés et impuissants devant l’hideur des cicatrices chéloïdes qui se rapproche, parfois, de l’handicap ».